Les 100 ans de la Banque Delubac & Cie
Pour célébrer les 100 ans de sa création, la Banque Delubac & Cie lance une fresque inédite en 6 épisodes de 1924 à demain, entremêlant les évènements de la construction de l’établissement au cœur du contexte économique, sociétal et artistique qui a émaillé le 20 et 21e siècle.
Maurice Delubac :
Un fondateur pragmatique et avisé
Les premières pierres de cette histoire ont été élevées il y a tout juste un siècle. On y discerne le portrait d’un visionnaire discret et les prémices d’une œuvre séculaire. Elle incarne une certaine idée de la banque française : enracinée et innovante, résiliente et audacieuse, ambitieuse mais éclose loin des grands centres financiers internationaux…
L’histoire débute dans les tout premiers jours de 1924. Les Années folles battent leur plein. Le surréalisme s’affirme. Paris est la capitale du monde artistique. Peintres, sculpteurs, musiciens, poètes illuminent cette période de leurs talents, de leurs visions, de leurs extravagances. En Ardèche, dans la commune du Cheylard, peu d’échos parviennent de cette effervescence.
Portrait de Maurice Delubac
Photothèque Banque Delubac & Cie
Maurice Delubac ne fréquente pas les cafés et les ateliers de Montparnasse. Il n’est pas non plus un habitué de la « corbeille » avec ses agents de change et ses intermédiaires affairés, un familier de Wall Street ou de la City londonienne. Il vit et travaille en Ardèche. Il a vu le jour dans une famille de paysans, à Saint-Etienne-de-Boulogne, près d’Aubenas, en 1893, la même année que les peintres Soutine et Miro.
Les années d’apprentissage
Mobilisé en 1914, il a survécu aux combats de la Grande Guerre et l’a terminée avec le grade de lieutenant. De retour au pays et à la vie civile, il est entré dans une banque d’Aubenas, à peu près au moment où un certain Jean Giono, employé de banque avant de devenir écrivain, officie au Comptoir National d’Escompte de Paris (à Manosque).
C’est la ‘Banque Privée’ que Maurice Delubac a intégrée à Aubenas. Son siège est à Lyon mais elle a un bureau au Cheylard, dont la responsabilité lui sera confiée. Une expérience formatrice et surtout annonciatrice d’un nouveau défi lorsque la Banque Privée choisit de fermer son agence du Cheylard. Maurice Delubac a développé un solide réseau et s’est fait apprécier de ses clients. Convaincu du potentiel économique de la place, il décide d’en fonder une, avec l’appui des industriels locaux désireux d’avoir une banque de proximité.
Déclaration d’immatriculation au RCS de la Banque Delubac en 1924
Le 2 janvier 1924, il dépose ses statuts. Pour ouvrir une banque, il suffit alors de s’inscrire au registre du commerce. Un vent de liberté souffle sur le secteur bancaire ; le métier est encore très peu réglementé. La France compte près de 2 000 banques, beaucoup à vocation locale ou régionale.
La banque de l’Eyrieux Maurice Delubac (du nom de la rivière traversant Le Cheylard) est portée sur les fonts baptismaux avec la nouvelle année et à l’approche des premiers Jeux Olympiques d’hiver de l’histoire, qui se tiendront à partir du 25 janvier à Chamonix, avant les jeux d’été de Paris. Elle a été créée en « affaire personnelle », une forme juridique qu’elle conservera jusqu’en 1976. Ses débuts sont à l’image de cette période « d’artisanat bancaire ». Première domiciliation : à l’étage d’un petit immeuble du Cheylard dont le rez-de-chaussée est occupé par… un café ! Deux ans plus tard, la banque emménage dans des locaux plus spacieux. Elle y demeurera jusqu’en 1946. Lui succéderont une charcuterie puis une pâtisserie !
La place Saléon-Terras et l’église du village Le Cheylard, Ardèche, au début des années 1920.
Archives départementales de l’Ardèche, 79Fi_485.
C’est la France d’antan, rurale, mais aussi gagnée par l’esprit d’entreprise conjugué au bon sens terrien, aux antipodes de la spéculation insensée et des boursicotages hasardeux qui émaillent la chronique économique internationale. Maurice Delubac dessine une genèse bancaire prudente, destinée à une clientèle constituée pour l’essentiel d’industriels, d’artisans et de commerçants du Cheylard et de ses environs, où les secteurs de la tannerie et du tissage sont particulièrement dynamiques.
Maurice Delubac fait beaucoup de banque de titres : placements, encaissements de coupons. Il est aussi agent général d’assurance pour le groupe l’Union, une très ancienne compagnie, lointaine « ancêtre » du groupe AXA.
La sagesse pratique d’un créateur de banque
Il se diversifie. Il aime son métier, ses clients, son territoire. C’est un homme simple et toujours disponible. Sa devise ? « Il ne faut pas vivre au-dessus de ses moyens ni même selon ses moyens, mais en-dessous de ses moyens ». Une sagesse qui permettra à sa banque de surmonter crises, krachs et épreuves du temps. Sa règle de conduite ? La liquidité, toujours. Les fonds propres sont un gage de survie, de développement et de liberté. D’où une conviction atavique qui est encore la règle d’or de la banque Delubac : liquidité avant tout.
La Grande Dépression. Une foule de déposants manifeste sous la pluie devant la Bank of United States après sa faillite. New York, 1931.
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La crise de 1929 est passée. Les menaces diverses sur le franc aussi, qui avaient conduit à dévaluer la devise. La Grande Dépression a fondu sur l’Europe après avoir gagné l’Amérique, inaugurant des années de déflation, de chômage et d’incertitudes. Mais les liquidités sont préservées et la banque Delubac est restée debout, donnant, déjà, des preuves de sa résilience et de son adaptation, quand tant de petites banques régionales, et même de bien plus importantes, ont mis la clé sous la porte ou ont été rachetées.
Les années 1930 ont été porteuses d’espérances sociales, notamment sous le Front Populaire, mais aussi de menaces économiques, politiques, de nouveaux paradigmes comme les premières nationalisations et l’amorce d’un contrôle de l’Etat sur le crédit. La période est également d’une grande richesse pour la pensée économique qui se renouvelle en profondeur tout en exerçant une influence croissante sur les politiques économiques des gouvernements.
Las ! A la fin de la décennie survient une autre crise, d’une ampleur bien plus dramatique encore : la Seconde Guerre mondiale. Maurice Delubac est à nouveau mobilisé. Il a quarante-six ans.
Un âge d’or… pour l’or
L’entre-deux-guerres fut une période faste pour le métal précieux. L’étalon-or, suspendu pendant la Grande Guerre, fut rétabli dans les années 1920. En 1925, la Grande-Bretagne réinstaura la libre convertibilité de la livre sterling, suivie par la France en 1928. Le dollar, convertible lui aussi, s’imposait comme déjà une devise de référence. L’or régissait le système monétaire international mais il représentait également un formidable filon pour les arts et les lettres. En témoigne l’année 1925 avec La ruée vers l’or de Chaplin, L’or de Blaise Cendrars et Les Faux-monnayeurs de Gide… où tout ce qui brille n’est pas d’or.
Groupe des salles fortes, salle souterraine de la Banque de France, Anonyme, 20e siècle
Au début des années 1930, Stefan Zweig publia un récit éblouissant sur l’or de la Banque de France entreposé dans une immense salle souterraine ultra-sécurisée, construite l’année même où Maurice Delubac créait sa banque. Mais que faire en cas de défaite et d’invasion ? Un plan d’évacuation fut élaboré dès l’été 1939 et activé pendant la campagne de France. Via les ports de Toulon, Brest ou Lorient, les 2500 tonnes d’or de la France prendront la direction de l’empire colonial (Dakar), du Nouveau Monde ainsi que de la Martinique pour une incroyable odyssée de plus de 8000 kilomètres. Un trésor récupéré à la Libération, à quelques caisses de lingots près !
Que va devenir la banque – et son fondateur –
dans ce contexte si lourd de menaces ?
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RÉSISTANCE ET RÉSILIENCE