LA BCE ET LA FED RELÈVENT LEUR TAUX, POUR QUELS RÉSULTATS ?
Face au retour de l’inflation, les banques centrales réagissent en relevant leurs taux directeurs. Après l’avoir longtemps maintenu à zéro, la banque centrale américaine (Fed) l’a remonté à 4,25-4,50%, et d’autres hausses sont attendues, tandis que la Banque centrale européenne (BCE) a entrepris le même mouvement, à 2,00-2,50% aujourd’hui, en attendant plus.
La remontée des taux directeurs rend l’argent plus cher, les taux d’intérêt montent, le crédit se restreint, la demande globale diminue et, pour s’adapter, l’offre baisse en diminuant ses prix. L’inflation est alors ralentie, au prix d’une récession plus ou moins importante. Mais ce n’est pas toujours aussi simple, notamment si une boucle prix-salaires s’enclenche (comme durant les années 1970), la hausse des salaires alimente celle des prix sans que les autorités monétaires puissent y faire grand-chose.
On note déjà que l’inflation aux États-Unis semble se stabiliser à 8%, laissant espérer une décrue. Par contre la zone euro vient de franchir la barre symbolique des 10% sans que l’on note de signe de ralentissement. Comment expliquer cette divergence ?
La situation de ces deux grands espaces économiques s’avère très différente face à la crise énergétique que nous traversons : les États-Unis sont indépendants énergétiquement, grâce à l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste, au contraire de l’Europe, fortement dépendante, qui s’appauvrit donc d’autant. Ses importations augmentent en valeur tandis que ses exportations ralentissent du fait que sa compétitivité se dégrade avec les coûts croissant des matières premières et de l’énergie. La double peine pour l’Europe qui voit sa balance commerciale plonger dans le rouge.
Autant le prix du pétrole s’avère relativement uniforme au niveau mondial, parce qu’il est facile à transporter (les supertankers), autant celui du gaz est très hétérogène car coûteux à acheminer (par gazoducs ou par liquéfaction pour le GNL). Les États-Unis bénéficient ainsi d’un gaz très bon marché quand il coûte une fortune en Europe. Conséquence : Tesla remet en cause la construction de son usine de batteries à Berlin pour la rapatrier aux USA. En France Safran suspend la construction de sa nouvelle usine tandis que Duralex stoppe sa production de verres pour plusieurs mois, les exemples abondent.
Cette détérioration des termes de l’échange déprécie l’euro face au dollar, ce qui rend d’autant plus coûteuses les matières premières qui doivent être réglées en dollars, c’est ce qu’on appelle « l’inflation importée ». Le retard de la BCE à remonter ses taux explique aussi cette dépréciation.
Au final, la BCE fait face à une situation bien plus complexe à gérer : la hausse des taux d’intérêt peut accentuer une récession sans rien améliorer sur le front de l’inflation, qui dépend essentiellement des prix de l’énergie. Elle doit aussi agir avec plus de doigté, en tenant compte de la dette des pays du Sud, plus fragiles, alors que la Fed n’a à se préoccuper que de la dette fédérale. Il semble qu’en Europe l’inflation soit là pour durer, et même à augmenter si l’euro se dévalue encore.
Sources : Rexecode, Banque Delubac & Cie, Standard and Poors, Euronext Paris, Eurostat, S&P Global, Iboxx