Alors que les success stories d’entrepreneurs stars sont souvent portées aux nues voire idéalisées, les histoires d’échecs sont, à l’inverse, encore trop mal perçues en France. Avec des conséquences douloureuses pour les entrepreneurs qui les traversent, comme sur l’entrepreneuriat plus largement. Plusieurs voix s’élèvent pour faire changer les mentalités, à commencer par celle d’Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire qui a présidé la réalisation du rapport sur l’échec et le rebond entrepreneurial en France, remis au ministère de l’Economie en fin d’année dernière. Alors quelles sont les pistes d’amélioration possibles ?
L’échec a la vie dure en France. Alors qu’aux Etats-Unis, il est plutôt vu comme une expérience, une étape vers le succès, sa perception en France est souvent synonyme de fin de parcours. « Il faut dire que le monde administratif et financier est extrêmement prudent vis-à-vis d’entrepreneurs qui ont connu des échecs », reconnaît Denis Meilhon, directeur général de la Banque des entreprises chez Delubac & Cie. « La complexité administrative autour des entreprises en difficulté est importante, renchérit Jérôme du Maroussem, directeur général de la Banque judiciaire chez Delubac & Cie. Sans compter le fait que le patrimoine personnel des dirigeants est souvent engagé dans leur entreprise et que le dirigeant peut être lourdement sanctionné en cas de faillite. » On comprend donc bien que la peur d’échouer soit forte dans l’Hexagone. 66 % des Français admettent que cette peur les retient d’entreprendre, un chiffre qui passe à 72 % chez les 18-30 ans [1].
Former les jeunes et alléger les règles
Pourtant, l’échec fait partie intégrante de l’entrepreneuriat. Selon l’INSEE, 25 % des entreprises échouent dans les deux premières années de leur existence. « Nos futurs entrepreneurs ne sont sans doute pas assez formés, explique Jérôme du Maroussem. Connaître des périodes délicates n’est pas exceptionnel. En revanche, il y a une méconnaissance des procédures de prévention comme le mandat ad hoc ou la conciliation qui pourraient pourtant sauver une entreprise. » Et en effet, 76 % des jeunes estiment qu’ils ne sont pas bien préparés lors de leurs études à se lancer dans l’entrepreneuriat [2]. Seulement 10 % des jeunes diplômés français envisagent de créer leur entreprise, contre 25 % en Allemagne [3]. C’est donc l’une des recommandations du rapport Bourbouloux que d’introduire des cours sur l’entrepreneuriat dans les programmes scolaires et universitaires, aussi bien que des formations continues pour apprendre la gestion de l’échec et de la résilience. En plus de cela, il est crucial de changer le cadre réglementaire autour de l’échec. « Un environnement juridique plus souple est indispensable. Quand on sait que la durée moyenne d’une procédure de liquidation judiciaire est de deux ans et demi, et que pendant cette période, un entrepreneur ne peut pas lancer de nouvelle activité, on comprend la rigidité du système », insiste Denis Meilhon.
Mieux accompagner les entrepreneurs en souffrance
Former à l’entrepreneuriat pour réduire les difficultés ou changer le regard sur l’échec est une chose, mais il faut également prendre en charge les entrepreneurs qui vivent cet échec, souvent de manière isolée, dans la honte et la souffrance. Jusqu’à parfois tenter de mettre fin à leurs jours tant cette expérience leur semble insurmontable. C’est dans ce but que Marc Binnié, greffier associé du tribunal de commerce de Saintes, et Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien, ont créé en 2013 le dispositif APESA (Aide Psychologique des Entrepreneurs en Souffrance Aiguë). « En France, nous n’avons pas la culture de l’échec et du rebond. Se retrouver en redressement, c’est une charge mentale très lourde, confirme Martine Tiberino, présidente d’APESA France. Pour certains dirigeants, leur entreprise, c’était leur rêve, le projet de toute une vie, un projet dans lequel la famille a parfois investi pour aider. Pour eux, le poids de l’échec est impossible à porter. » APESA a constitué un réseau de 1 800 psychologues, à qui les 6 900 ‘sentinelles’ de l’association (juge, greffier, commissaire de justice, mandataire, expert-comptable, etc.) adressent les dirigeants en souffrance qui les contactent ou qu’elles repèrent. Aujourd’hui, il existe 79 APESA régionales, qui représentent plus de 100 antennes locales rattachées chacune à un tribunal de commerce. « Notre accompagnement repose sur trois piliers : la gratuité, la confidentialité et la volonté. Chaque année, nous prenons en charge 2 300 entrepreneurs. »
Témoigner pour mieux changer le regard sur l’échec
Ils sont peu nombreux, les chefs d’entreprise passés par un échec qui acceptent de témoigner. « Le changement de regard est aussi important pour cela, souligne Denis Meilhon. Pour encourager les dirigeants à partager leur expérience, à transmettre les leçons qu’ils ont tirées d’un échec, à aider des jeunes à se lancer. Rendre l’échec acceptable, c’est également un moyen de dynamiser notre économie. » Le rapport Bourbouloux préconise que ces témoignages soient plus visibles dans les médias, qu’il s’agisse d’entrepreneurs stars comme Xavier Niel ou Marc Simoncini, mais aussi de dirigeants plus approchables, auxquels tout le monde pourra s’identifier. « Un dirigeant est par nature un optimiste. Sa foi en l’avenir est ce qui le pousse à entreprendre. C’est cela que nous devrions retenir et dont nous avons tous à bénéficier, plutôt que de stigmatiser à la première difficulté », conclut Jérôme du Maroussem.
[1] Etude Opinion Way x BPI France, 2023
[2] Id.
[3] Banque mondiale