2024 a marqué le centenaire de la Banque Delubac & Cie. Un bel âge que peu d’établissements financiers peuvent porter fièrement. Car beaucoup de banques, y compris parmi les plus connues, ont connu des crises voire des faillites. Longtemps non régulées, les banques ont su s’adapter aux besoins de l’économie à chaque époque
Remontons ensemble le fil de l’histoire bancaire avec Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur d’études à l’EHESS[1] et spécialiste de l’histoire monétaire et financière française des XIXe et XXe siècles.
Le mot banque (qui viendrait de banca en italien, qui signifie banc) apparaît dans la langue française vers le milieu du XVe siècle. À l’époque, l’activité reste le fait d’individus, le plus souvent des marchands enrichis, qui reçoivent des dépôts ou font crédit au-delà du crédit commercial ordinaire, dans un cercle d’interconnaissances souvent local. « Ces commerçants prospères utilisaient leur connaissance des affaires marchandes pour prêter de manière avisée. La confiance qu’ils inspiraient pouvait amener à leur confier des dépôts, même si les deux activités ne sont pas toujours liées. ». A cette époque le commerce se développe grâce aux lettres de change, instruments de crédit à court terme commercial qui permettent aux marchands d’éviter de transporter des espèces sonnantes et trébuchantes. Les plus à l’aise – les banquiers – se tiennent prêt à racheter ces lettres à ceux qui ont besoin de liquidité, et s’occupent de les encaisser. Peu à peu, ils vont établir, grâce à ces instruments, un vrai marché européen de l’argent indépendant des monnaies et des souverains.
XVIIe siècle : la timide apparition des premières banques « centrales »
La première banque qu’on peut considérer comme centrale naît au début du XVIIe siècle, en 1609, à Amsterdam. Sa création répond au besoin d’une monnaie fiduciaire au cours stable, destinée à simplifier les paiements et lutter contre les fausses monnaies circulant alors en masse. Son florin banco (de banque) est adossé aux métaux précieux entreposés dans les coffres de la banque, et ne peut être utilisé que pour des virements de compte à compte. Cela facilite les paiements et contribue au succès d’Amsterdam, capitale du commerce européen. Grâce à la confiance qu’elle détient, la Banque d’Amsterdam peut même réguler l’activité et réduire l’ampleur des crises. En 1668, c’est la Banque de Suède qui fait son apparition. C’est la première banque centrale au monde à émettre des billets de banque. « Mais celle qui marque une véritable rupture est la Banque d’Angleterre, fondée en 1694. Elle émet des billets de banque, accorde des prêts et détient une partie de la dette publique en soutenant des emprunts de l’État. Une vraie révolution ! Elle va beaucoup contribuer au succès mondial du commerce britannique aux XVIIIe et XIXe siècles. »
XVIIIe siècle : les faillites jettent un froid sur le monde de la finance
Coup de frein brutal au développement de l’activité bancaire, les premières grandes crises financières explosent vers 1720. La banqueroute du système de Law est sans doute l’une des plus connues et a généré une méfiance tenace à l’égard du papier-monnaie en France. En Angleterre, le Parlement vote le Bubble Act (loi sur les bulles boursières interdisant de créer des sociétés par actions, trop risquées pour l’épargne publique) après la crise spéculative sur les actions de la Compagnie des mers du Sud. Toute l’Europe est alors affectée par un grand mouvement de spéculation qui finit en déroute et jette un froid sur le développement financier.
XIXe siècle : le règne de la « Haute Banque »
Après cette période d’austérité bancaire émerge ce qu’on appelle la « Haute Banque », qui désigne des maisons familiales bancaires se consacrant aux grandes affaires avec leurs capitaux personnels. De grands noms marqueront fortement cette période : Fould, Hottinguer, Mirabaud, Neuflize, Rothschild, Odier, Seillière, Pereire, … Autant de familles qui forment de véritables dynasties financières et dont certaines sont encore actives aujourd’hui dans le domaine. « C’est un moment charnière dans l’histoire de la finance, car il scelle les liens entre les banques et l’État. Ces grands banquiers gagnent en effet une influence considérable auprès des décideurs et pèsent sur l’économie du pays. » Les frères Pereire, par exemple, dominent les grandes opérations du Second Empire, qu’elles soient liées au transport, à l’industrie, à l’immobilier ou à l’aménagement urbain.
XXe siècle : l’ouverture aux particuliers
Au début du XXe siècle, la France dispose d’un réseau bancaire installé et diversifié : banques régionales, banques d’affaires, banque de dépôts. La Première Guerre mondiale met pourtant le secteur en difficulté (inflation, fuite des capitaux, diminution des fonds propres…) ; de nombreuses banques font faillite après le krach de 1929. Cette crise profonde conduit la France à réglementer enfin le secteur bancaire. La nationalisation de la Banque de France vise à prévenir désormais les crises bancaires. Pour qu’elle puisse surveiller les banques, il faut les définir, ce que permet la loi de 1941, qui détermine le métier de banquier, délimite les conditions pour le pratiquer et instaure un Comité permanent d’organisation professionnelle des banques ainsi qu’une Commission de contrôle des banques (CCB). Juste après la Seconde Guerre mondiale, ces instruments (et la nationalisation des principales banques) sont mis au service d’une politique volontariste de contrôle du crédit, qui vise à reconstruire les infrastructures publiques et à investir dans le développement industriel. Dès lors, les banques privées se développent sur des niches délaissées par la puissance étatique : crédit à la consommation, crédit automobile, crédit au logement, …
C’est à cette période que naît la banque telle que nous la connaissons aujourd’hui, dont tous les habitants du pays ont l’usage, et non les seules entreprises. L’essor des comptes en banque détenus par les particuliers est très rapide. « Dans les années 60, les salaires ont été mensualisés. Cela impliquait donc d’ouvrir un compte bancaire pour percevoir sa rémunération. De 15 % environ de la population à détenir un compte bancaire, on passe à 70 % en moins de 10 ans ! »
Les années 1980 marquent le début de la financiarisation du secteur. C’est à cette époque qu’apparaissent un grand nombre d’instruments financiers, tels que les fonds communs de placement ou les SICAV pour le grand public, et des instruments beaucoup plus sophistiqués et omniprésents pour les entreprises (billets de trésorerie par exemple). « Le XXe siècle consacre le vrai succès du secteur bancaire : celui d’être passé d’un service entre commerçants à un service du quotidien qui concerne toute la population. »
XXIe siècle : la rupture technologique
Le développement du numérique bouleverse en profondeur le secteur. De nouveaux acteurs comme les Fintechs gagnent en puissance et révolutionnent notamment les systèmes de paiement. Les espèces sont de moins en moins utilisées au profit de la carte bancaire et maintenant des téléphones portables. Afin de rester compétitives, les banques centrales explorent de nouvelles pistes : 14 % d’entre elles sont en phase de développement et de pilotage d’une monnaie numérique[2]. Quant à la blockchainLa blockchain est un type de technologie de registres distribués (distributed ledger technologies en anglais, ou DLT). Elle se présente comme une grande base de données formée de blocs, liés, elle suscite elle aussi un intérêt grandissant : « Les opérations étant de plus en plus nombreuses et rapides, c’est une technologie de garantie de qualité. Il est hautement probable qu’elle va être adoptée par les banques centrales et banques privées pour effectuer, accélérer et vérifier les transactions. » L’histoire des banques n’a pas fini de s’écrire !
Pierre-Cyrille Hautcoeur prépare une histoire économique de la France, de la Préhistoire à nos jours, à paraître en 2025.
[1] École des hautes études en sciences sociales.
[2] PwC, Paper No 114, BIS, 2021
Retrouvez notre grande fresque sur l’histoire de la Banque Delubac & Cie